24 nov. 2012

Lecture: "Frankenstein délivré" de Brian Aldiss (1973)

Résumé

 Dans un futur pas si lointain sévit une guerre mondiale. À New Houston, Joseph Bodenland s'occupe de ses petits-enfants avec l'aide d'une nourrice, car leurs parents ont été tués et sa femme a été envoyée en Asie du Sud-Est en mission humanitaire. Un matin, la nouvelle éclate: les bombardements incessants dans l'atmosphère de la planète ont créé une rupture de l'espace-temps, provoquant d'imprévisibles glissements temporels.

Joe subit quelques uns de ces glissements, sa maison entière et une portion du terrain se retrouvant à des époques et des lieux autres, comme le Moyen-Âge, pour des durées indéterminées. Durant un de ces glissements, il s'aventure au-delà de son territoire dans sa voiture et sa maison retourne dans son espace-temps sans lui, le laissant exilé à une autre époque.

Il découvre qu'il est en Suisse, au début du XIXème siècle. Ce qui le trouble le plus, ce sont les événements dont il est témoin, des événements qui, pour lui, étaient issus d'une oeuvre de fiction: il vit des passage du Frandenstein de Mary Shelley. Il croise à la fois la créature et son créateur alors que le procès d'une servante accusée à tort est en cours. Il décide donc de faire de son mieux pour rectifier l'injustice en devenir.

En cours de route, il subit un nouveau glissement qui l'emmène un peu plus tard et lui fait croiser le chemin, cette fois-ci, de Mary Shelley elle-même. Cette rencontre brouille de plus en plus le sentiments de réalité et d'identité de Joe.

Commentaire

J'ai acheté ce livre au cours d'une Bibliovente pendant laquelle je repérais les formats poches à couverture argentée. Je trouvais le titre de bon augure quand j'ai cherché une lecture autour du 31 octobre.

La prémisse est un brin loufoque, qu'une bombe ait "déréglé le temps", mais j'ai laissé passer.

La narration est à la première personne, nous parvenant d'abord par une correspondance entre le personnage et sa femme, puis par un enregistrement fait au cours de l'aventure. Le clin d'oeil au style souvent adopté du dix-neuvième qui transmettait une histoire par le biais d'un journal est sympathique.

Le personnage principal, d'abord cadré dans son environnement naturel, subit peu à peu une crise et une perte d'identité, qu'il nous verbalise de façon régulière. Une chance, car je ne crois pas que j'aurais perçu les incohérences ainsi. Le personnage n'est pas assez bien enraciné au début pour bien supporter les changements subséquents, on hésite entre cette hypothèse et l'hypothèse d'un personnage flou et incohérent.

Si le saut dans le monde fictif fait surgir de nombreuses questions et contient un potentiel d'interrogations. le saut dans le monde réel et la rencontre avec Mary Shelley pouvait semer encore plus de troubles. Mais le personnage se perd dans une admiration sans borne où on se sent dans le fantasme d'un fanboy. La coupure est raide lorsqu'on revient dans l'univers fictif (???) et on sent qu'on a perdu les motivations du personnages. Pourquoi se démène-t-il ainsi? Le tout pour finir avec un nouveau glissement qui les mène dans un nouvel univers, fictif ou non? Il y a trop d'indéterminés.

Par contre, tout le questionnement du personnage sur les natures humaines, celles des différents siècles, le sien et celui où il arrive, reflète le désenchantement d'une illusion, d'une idéalisation.

L'écriture est superbe, ce qui rend la lecture plus facile. Je ne crois pas que j'aurais lu le livre jusqu'à la fin n'eût été de cela.

En résumé, un livre bien écrit, dont les questionnements principaux sont oubliés au profit d'une section centrale mal exploitée qui, du coup, semble provenir d'un livre différent. Le tout part en vrille à la fin. A-t-on voulu calquer le Frankenstein original dans les événements? Ça fait trop longtemps que je l'ai lu. Il y a des similarités, mais franchement, ça ne vaut pas le coup de se creuser la tête.

Aldiss est un grand de la science-fiction, j'essaierai de le lire à nouveau, mais je ne suis pas convaincue pour l'instant.

17 nov. 2012

Lecture: "The Big Time" de Fritz Leiber (1961)

Résumé

La Guerre des Modifications oppose les Serpents aux Araignées, avec comme enjeu le sort de l'Humanité. Enclenchée dans un futur lointain, son champ de bataille est l'Histoire. Ses troupes s'affrontent dans les moments-clés de notre histoire, pour en changer ou en conserver l'issue, selon ce qui favorise leur victoire future. Cette guerre, qui a lieu à l'insu des gens qui vivent dans le temps, provoque pourtant des changements dans la ligne temporelle.

Au milieu de toute cette folie, il y a la Place, un lieu hors du Temps et de l'Espace, maintenu dans le néant par une technologie fragile. Là, les entertainers divertissent les soldats durant leurs brefs répits entre deux mission en mission.

C'est dans une de ces Places que Greta Forzane travaille avec cinq collègues, tous arrachés à leur vie juste avant leur décès. Après une accalmie, un trio de soldats hétéroclite - un officier Nazi, un centurion et un soldat américain de la Première Guerre - débarquent dans la Place après une mission au succès mitigé. Les esprits s'échauffent, les voix s'élèvent, rien d'anormal pour ce lieu fait pour évacuer les tensions. Cependant, trois autres soldats échouent par accident à la Place, toujours en pleine mission, transportant une arme nucléaire.

Commentaire

The Big Time est le deuxième livre de Fritz Leiber que je lis d'affilée. Mieux connu pour la série de Fafhrd and Gray Mouser  - qui inspira Donjons & Dragons - et son cycle des Épées, il a écrit plusieurs romans et nouvelles de science-fiction.  The Big Time a d'ailleurs été honoré d'un prix Hugo.

Le mélange des protagonistes aux diverses origines permet de bonnes confrontations, et leur rapport avec les Modifications de la ligne du Temps (dont des modifications de leur vie personnelle) offre un potentiel d'histoires. D'ailleurs, Leiber a écrit d'autres récits dans le même univers.

Cependant, si ces éléments sont présents, le noeud de l'histoire demeure le  lien avec ces Serpents et ces Araignées, les deux opposants que personne ne connaît, ainsi que le but nébuleux de cette guerre. C'est contre cette absurdité que proteste l'un des protagonistes, qui met tout le monde dans une situation périlleuse. Le point central en est donc un de philosophie, de positionnement face à cette guerre. Le questionnement amène la cristallisation des positions de chacun quand on leur demande de choisir leur camp, choix que seule Greta ne fait pas, exemptée par un élément de distraction. Elle ne résoudra jamais ce dilemme.

Les personnages, à prime abord dessinés à gros traits, se nuancent au cours des interactions.

Du point de vue narratif, Greta raconte au "je", avec ce ton de conversation familière qui met à l'aise, comme un client de la Place. Les confidences sont parfois un peu longues, et peu exploitées par la suite, et le positionnement principal du protagoniste qui veut échapper à ses supérieurs tient à un long discours. Heureusement fort bien construit et articulé, ce qui permet à un exposé potentiellement pénible de couler avec plus d'aisance. Il demeure que le livre laisse une impression de beaucoup de discussion pour peu d'action, concentrée en quelques endroits. Quant au dénouement - trouvé où est le fameux stabilisateur permettant à la Place de demeurer dans le Néant -, il est accompli par Greta, mais semble un peu factice tout du long, un artifice ou une excuse pour permettre la confrontation entre ceux qui veulent cesser d'être des pantins et ceux qui ne veulent pas déserter.

En somme, ce livre m'a paru être un aperçu d'une histoire pouvant être plus étoffée, avec énormément de possibilités. Très court (170 pages), il a pourtant des longueurs et l'habitude de l'auteur de mettre des majuscules un peu partout (eh non, ce n'est pas moi qui aie choisi d'en mettre) est agaçante, malgré la réflexion de la protagoniste à ce sujet. Peut-être est-ce le style qui a mal vieilli, mais je comprends mal son obtention d'un Hugo. Lecture intéressante, sans plus.